Vaste région, la Nouvelle-Aquitaine regroupe une large mosaïque de territoires et se démarque par une offre de santé hétérogène. Dans les zones confrontées à une forte pénurie médicale, de nombreux EHPAD ont fréquemment recours aux urgences hospitalières, en particulier de nuit. Une situation dont l’équipe de gériatrie du CHU de Limoges est bien consciente. Elle a donc lancé, en 2020, une étude pour évaluer l’apport des outils d’aide au diagnostic associés à l’intelligence artificielle, dans plusieurs EHPAD implantés dans le centre et l’est de la région. « Avec cette technologie, nous cherchons à venir en aide aux territoires ne bénéficiant pas d’un maillage médical suffisant, et où l’on pourrait alors limiter les hospitalisations inutiles », confie le Pr Achille Tchalla, chef du pôle de gérontologie clinique au CHU de Limoges.
Un besoin d’études autour de la e-santé
Si plusieurs initiatives visant à faciliter l’accès aux soins et à réduire le recours aux urgences dans les territoires en tension voient le jour un peu partout en France, l’originalité du projet limousin réside dans sa forme : celle d’une étude complète, réalisée sur plusieurs années et dans plusieurs établissements. « Intégrer les outils e-santé pour optimiser le soin à la population représente aujourd’hui une problématique majeure dont la recherche doit s’emparer, pour apporter des preuves scientifiques, mais aussi faire évoluer les solutions existantes en lien avec les besoins réels des utilisateurs finaux », complète le chef de pôle.
Dans le cadre de ce projet spécifique, les infirmiers en EHPAD ont ainsi accès à un système intelligent disponible sur tablette, et où ils peuvent recenser les symptômes du résident dans un questionnaire préétabli. Ces informations compilées sont transmises au médecin, qui n’a donc plus besoin de se déplacer, et sont complétées de pistes diagnostiques. « C’est vraiment un outil d’aide à la décision, qui ne remplace aucunement l’expertise médicale », ajoute le Pr Tchalla, dont le service a reçu pendant plusieurs mois les données recueillies par les soignants en EHPAD. « À terme, les résultats seront envoyés au médecin traitant », poursuit-il en insistant sur la nécessaire double lecture médecin - intelligence artificielle.
Dans le cadre de ce projet spécifique, les infirmiers en EHPAD ont ainsi accès à un système intelligent disponible sur tablette, et où ils peuvent recenser les symptômes du résident dans un questionnaire préétabli. Ces informations compilées sont transmises au médecin, qui n’a donc plus besoin de se déplacer, et sont complétées de pistes diagnostiques. « C’est vraiment un outil d’aide à la décision, qui ne remplace aucunement l’expertise médicale », ajoute le Pr Tchalla, dont le service a reçu pendant plusieurs mois les données recueillies par les soignants en EHPAD. « À terme, les résultats seront envoyés au médecin traitant », poursuit-il en insistant sur la nécessaire double lecture médecin - intelligence artificielle.
Une étude en deux étapes
Désormais en cours de finalisation, l’étude limousine a impliqué la participation de plusieurs acteurs régionaux, en premier lieu la Ville de Limoges et deux établissements médico-sociaux de la commune, pour une première phase de faisabilité. En lien avec l’éditeur, les équipes du CHU ont commencé par tester l’outil et ses usages, afin de les transposer au champ et au public des EHPAD. Cette étape, qui s’est déroulée durant la crise sanitaire de 2020, a permis d’identifier plusieurs besoins et de faire ainsi évoluer le dispositif pour « un usage plus facile et plus adapté », se félicite le Pr Achille Tchalla.
L’étape suivante, dite de « validation », a été pensée à l’échelle régionale, impliquant six EHPAD de Creuse, Dordogne et Haute-Corrèze. « Pour assurer le bon usage de l’outil et le suivi avec les équipes du CHU, les soignants de ces établissements ont naturellement reçu une formation, à la fois opérée par la communauté médicale et l’industriel », complète le chef de pôle. Véritable essai sur population réelle, cette seconde phase qui s’est clôturée en mars dernier a inclus 150 personnes, avec pour objectif principal de mesurer l'impact réel de l’outil sur les soins.
L’étape suivante, dite de « validation », a été pensée à l’échelle régionale, impliquant six EHPAD de Creuse, Dordogne et Haute-Corrèze. « Pour assurer le bon usage de l’outil et le suivi avec les équipes du CHU, les soignants de ces établissements ont naturellement reçu une formation, à la fois opérée par la communauté médicale et l’industriel », complète le chef de pôle. Véritable essai sur population réelle, cette seconde phase qui s’est clôturée en mars dernier a inclus 150 personnes, avec pour objectif principal de mesurer l'impact réel de l’outil sur les soins.
La mise en place de l’étude dans les établissements
« En cas de problème aigu chez un résident, parallèlement à l’intervention physique ou téléphonique d’un médecin, nous devions utiliser l'outil d’IA pour répondre à des questions précises », se souvient Émilie Pédel, Infirmière Diplômée d’État (IDE) au sein de l’EHPAD du Bois Joli à Auzances, dans la Creuse. Les informations recueillies par l’outil numérique étaient alors ensuite envoyées à l’équipe du CHU de Limoges pour être comparées avec la prise en charge classique et ainsi mesurer objectivement l’impact d’un tel usage sur l’élaboration d’un prédiagnostic.
L’établissement creusois a pu inclure une quarantaine de résidents dans le cadre de sa participation à l’étude – les personnes de moins de 65 ans, en fin de vie ou ne pouvant donner leur consentement n’étant ici pas concernées. « L’équipe en charge du protocole de recherche nous a accompagnés tout au long du processus, organisant par exemple les premiers temps des réunions hebdomadaires par visioconférence, afin que nous puissions nous imprégner plus facilement des différents paramètres et éléments recherchés », complète Laetitia Gironde, elle aussi IDE au sein de l’EHPAD du Bois Joli.
L’établissement creusois a pu inclure une quarantaine de résidents dans le cadre de sa participation à l’étude – les personnes de moins de 65 ans, en fin de vie ou ne pouvant donner leur consentement n’étant ici pas concernées. « L’équipe en charge du protocole de recherche nous a accompagnés tout au long du processus, organisant par exemple les premiers temps des réunions hebdomadaires par visioconférence, afin que nous puissions nous imprégner plus facilement des différents paramètres et éléments recherchés », complète Laetitia Gironde, elle aussi IDE au sein de l’EHPAD du Bois Joli.
Un plus pour le métier d’IDE en EHPAD
Outre les bénéfices attendus en termes d’organisation des soins et de qualité des prises en charge, les deux IDE voient aussi, dans la réalisation de ce type d’initiative et dans l’utilisation des technologies numériques, un moyen pour elles d’acquérir des compétences supplémentaires. « Au quotidien, l’étude et l’outil nous ont obligées à être plus observatrices et à parfaire notre connaissance du résident », confie Émilie Pédel en évoquant une potentielle évolution de son métier vers de l’auscultation paramédicale. « Une telle demande s’accroît, car les médecins traitants sont de moins en moins disponibles. Et, bien que cet acte nous mobilise un peu plus longtemps, il n’en représente pas moins une dimension très intéressante de notre métier, qui bénéficie ainsi d’une compétence et donc d’un attrait supplémentaires », complète l’intéressée, soulignant également les apports de la technologie pour pallier le manque de médecins sur le territoire.
« Notre médecin coordonnateur, également médecin traitant des trois quarts des résidents, partira en retraite d’ici cinq ans, sans être assuré d’être remplacé. En posant un prédiagnostic pour orienter les équipes de l’EHPAD vers un passage aux urgences ou une téléconsultation, un tel outil pourrait donc répondre, au moins en partie, à une problématique à laquelle de nombreux établissements sont confrontés », détaille l’infirmière, elle-même détentrice d’un diplôme universitaire de télémédecine depuis 2020. Si elle s’était initialement inscrite à cette formation pour les besoins de l’étude, elle y a néanmoins trouvé un intérêt fort pour sa pratique quotidienne. Sa collègue, Laetitia Gironde, a d’ailleurs elle aussi sauté le pas et se forme actuellement aux différentes techniques de télémédecine pour « aider à la prise en charge des résidents ».
« Notre médecin coordonnateur, également médecin traitant des trois quarts des résidents, partira en retraite d’ici cinq ans, sans être assuré d’être remplacé. En posant un prédiagnostic pour orienter les équipes de l’EHPAD vers un passage aux urgences ou une téléconsultation, un tel outil pourrait donc répondre, au moins en partie, à une problématique à laquelle de nombreux établissements sont confrontés », détaille l’infirmière, elle-même détentrice d’un diplôme universitaire de télémédecine depuis 2020. Si elle s’était initialement inscrite à cette formation pour les besoins de l’étude, elle y a néanmoins trouvé un intérêt fort pour sa pratique quotidienne. Sa collègue, Laetitia Gironde, a d’ailleurs elle aussi sauté le pas et se forme actuellement aux différentes techniques de télémédecine pour « aider à la prise en charge des résidents ».
Des résultats prévus pour l’automne 2023
Officiellement terminée depuis le mois de mars, l’étude du CHU de Limoges ne bénéficie pour l’instant pas de résultats publics. En cours de compilation, ceux-ci devraient être publiés au cours de l’automne 2023. Mais de premières conclusions se dessinent déjà dans les établissements ayant participé à l’expérimentation, avec un impact globalement « positif » de la technologie, comme le confie le Pr Tchalla – à l’image de la dynamique à l’œuvre au sein de l’EHPAD du Bois Joli, où les équipes s’intéressent chaque jour un peu plus à l’usage de la télémédecine.
Dans quelle mesure l’outil est-il utilisé ? Vient-il en complément des soins fournis habituellement ? Évite-t-il véritablement les hospitalisations inutiles ? Diminue-t-il les déplacements des médecins traitants ? Est-il bien accepté par les soignants et les résidents ?... Toutes ces questions ont été prises en compte et apparaîtront dans la publication finale qui devrait inclure un volet quantitatif, mais aussi qualitatif et même sociologique, une sociologue ayant en effet travaillé, quelques mois durant, auprès des équipes des EHPAD et du CHU pour estimer notamment l’appropriation, les usages et les besoins exprimés par chacune des parties prenantes.
Dans quelle mesure l’outil est-il utilisé ? Vient-il en complément des soins fournis habituellement ? Évite-t-il véritablement les hospitalisations inutiles ? Diminue-t-il les déplacements des médecins traitants ? Est-il bien accepté par les soignants et les résidents ?... Toutes ces questions ont été prises en compte et apparaîtront dans la publication finale qui devrait inclure un volet quantitatif, mais aussi qualitatif et même sociologique, une sociologue ayant en effet travaillé, quelques mois durant, auprès des équipes des EHPAD et du CHU pour estimer notamment l’appropriation, les usages et les besoins exprimés par chacune des parties prenantes.
Vers une étude à l’échelle européenne ?
« Nous avons essayé d’avoir ici une approche de terrain, pour constater les besoins des usagers en conditions réelles et faire évoluer l’outil en conséquence », poursuit le responsable qui voit dans la formation, l’accompagnement et l’étude des freins psychosociaux « des leviers essentiels » pour que les systèmes e-santé « puissent finalement nous aider à mieux organiser nos parcours de soins ». Pour aller plus loin, le gériatre imagine déjà les EHPAD comme des « tiers-lieux d’expérimentation pour les outils e-santé », devenant de véritables établissements connectés où le numérique s’intègre naturellement aux pratiques.
D’autres étapes sont d’ailleurs d’ores et déjà prévues, notamment la réalisation d’une analyse médico-économique afin de chercher à cadrer le modèle économique du dispositif. « Nous espérons aussi, l’an prochain, pouvoir élargir notre étude sur un plan européen », poursuit le Pr Achille Tchalla. Ce projet, qui nécessitera des financements européens, la création d’un consortium et l’intégration de nouveaux établissements et partenaires, permettra ainsi « d’apporter une preuve de l’utilité d’un tel outil à une échelle beaucoup plus large », insiste le chef de pôle. Il estime en effet qu’un grand nombre de territoires souffrant d’une faible offre médicale pourraient être « intéressées » : « Que ce soit en dans certaines îles grecques, en Irlande, en Islande… et même en France, en Martinique, Guadeloupe ou Guyane, le manque d’offre médicale est une problématique fréquemment rencontrée et peut bénéficier de l’apport des nouvelles technologies ».
Article publié dans le numéro de juin d'Ehpadia à consulter ici
D’autres étapes sont d’ailleurs d’ores et déjà prévues, notamment la réalisation d’une analyse médico-économique afin de chercher à cadrer le modèle économique du dispositif. « Nous espérons aussi, l’an prochain, pouvoir élargir notre étude sur un plan européen », poursuit le Pr Achille Tchalla. Ce projet, qui nécessitera des financements européens, la création d’un consortium et l’intégration de nouveaux établissements et partenaires, permettra ainsi « d’apporter une preuve de l’utilité d’un tel outil à une échelle beaucoup plus large », insiste le chef de pôle. Il estime en effet qu’un grand nombre de territoires souffrant d’une faible offre médicale pourraient être « intéressées » : « Que ce soit en dans certaines îles grecques, en Irlande, en Islande… et même en France, en Martinique, Guadeloupe ou Guyane, le manque d’offre médicale est une problématique fréquemment rencontrée et peut bénéficier de l’apport des nouvelles technologies ».
Article publié dans le numéro de juin d'Ehpadia à consulter ici